Erero F. Njiengwe, zoom sur un ancien étudiant

Publié le 19 juillet 2012 Mis à jour le 26 octobre 2018

Erero F. Njiengwe est docteur en psychopathologie de l’Université du Mirail. Il possède aujourd’hui plusieurs casquettes. Enseignant chercheur, il est également psychologue clinicien et psychopathologue.

Quel a été votre parcours à l’université ?

Je suis parti du Cameroun, le bac en poche pour devenir jeune étudiant en 1989. J’ai choisi Toulouse car c’est une ville du Sud ; de plus, je connaissais une famille française vivant pas très loin de cette ville. Elle s'offrait comme relais familial, et cela fut très déterminant car je n'étais pas boursier.
J’ai choisi la filière psy par souci d'utiliser les ressources du mental pour désamorcer, chez la plupart des personnes en souffrances, des fatalités qui n'en sont pas réellement, aider à conquérir le bien-être et la santé. L’expérience la plus longue possible du clinicien permet de mieux appréhender les facteurs humains qui jouent dans la réalisation de ce bien être. Le contexte socio culturel fait partie de ce facteur là.
Mon parcours universitaire est du 100% Mirail, malgré de longues périodes passées en va-et-vient entre la France et l'étranger ! J’ai un Deug mention  psycho, une Licence mention psychologie clinique et interculturelle, une Maitrise mention psychopathologie  et psychologie clinique, ensuite un DEA en psychopathologie (obtenu en 1995) et un doctorat « nouveau régime » en psychopathologie, thèse que j’ai soutenue en 2005.

Quels souvenirs gardez-vous de vos études ? Avez-vous rencontré des embûches ?

Il fallait que je me batte pour financer mes études ; je n’avais pas de bourse et je ne pouvais pas compter sur des ressources familiales inexistantes. Ça suppose d’avoir les idées claires pour assurer sa survie… Alors pour subvenir à mes besoins, j’ai tout fait ! Jardinier, baby sitter, serveur, vigile, agent de maîtrise, vacations au service scolarité de l’UTM et de Paul Sabatier. Tous les jobs que je pouvais obtenir, je les prenais. Je travaillais tous les jours, les soirs et les nuits, et je me retrouvais le matin en amphi… C’était parfois terrible, les enseignants pouvaient me surprendre en train de somnoler…
Sinon je garde deux sentiments très forts de cette période : l’émerveillement et  la désillusion…
L’émerveillement d’abord car je suis tombé, en arrivant à l'UTM, dans « une offre illimitée » dans l’accès aux savoirs !
L’UTM est riche de ses infrastructures et de ses filières offertes aux étudiants ; le système en vigueur à l’époque m’a permis d’avoir des unités de valeurs complémentaires. J’ai pris des cours en ethnologie, en sociologie de la famille, en espagnol, allemand, … C’étaient des UV libres. Et quand on a le choix on n’a pas le droit de ne pas choisir !

La désillusion ensuite,  qui a commencé à partir de la maitrise, au moment où j’ai fait le choix d’étudier la drépanocytose, maladie génétique et héréditaire mortelle qui est la plus répandue au monde. Je me suis rendu compte de la pauvreté en ressources documentaires et en experts, tant dans les services hospitaliers qu'à l'université, pour m’encadrer dans cette recherche. J’ai tout de même eu recours aux services hospitaliers toulousains. Sans bourse, j’ai dû aller à Paris pour de maigres collectes, à Londres ensuite durant 6 mois pour glaner un maximum d’infos ; en Floride, à Haïti, à la Martinique, … tout en avançant dans mes études pour obtenir un DEA et ma thèse. C’était difficile.
A cause de ce manque d’infos, j’ai dû me décentrer pour rechercher les documents nécessaires à ma recherche. 80% de mon temps était consacré à me déplacer hors de Toulouse et à obtenir des financements. Mon laboratoire d’attache (le CERPP) n’avait pas de bourse à m’offrir mais je veux leur rendre un hommage appuyé. Particulièrement au professeur Henri Sztulman qui m’a toujours facilité l’accès aux expertises nécessaires. Heureusement que tous les membres du labo étaient là pour nous accompagner et nous soutenir.  La structure d’attache, pour un jeune chercheur, c’est vital !

Quel est votre parcours professionnel ?

Je vis et travaille au Cameroun et en Espagne. J’ai un parcours de psychologue  clinicien et psychopathologue qui embrasse une carrière de pratiques en milieu hospitalier et libéral. Je suis aussi enseignant chercheur dans le cadre de la psychopathologie ; mes travaux de recherche concernent la drépanocytose. Au Cameroun, je travaille à l’université et je suis psychologue bénévole à l’hôpital Laquintinie à Douala.
Je suis également activiste pour l'établissement et la reconnaissance du métier de psychologue ; le titre n’a pas d’existence juridique et administrative au Cameroun.  L’on donne des cours à l’université sans objectifs professionnalisants. C’est regrettable car les étudiants semblent être attirés par cette discipline universitaire ainsi que le métier auquel elle devrait mener.
En Espagne, j’ai le privilège de participer à des enseignements pour la formation continue des professionnels de santé, et de commettre des expertises dans une perspective biopsychosociale de la relation soignants-soignés. La dernière en date concerne la prévention du « burn out » en soins palliatifs dans la région d'Estrémadure.

Pouvez-vous donner quelques conseils aux étudiants qui souhaitent s’inscrire dans la même filière ?

On ne peut pas entreprendre un parcours aussi exigeant en ayant pour seul objectif la recherche d'un parchemin  : ça ne suffit pas ! Il faut vraiment être conscient du choix que l’on fait et des implications sur le plan personnel et sur le plan existentiel.  C’est important. A la base, il faut se poser la question : à quoi va servir ma formation ? Pourquoi je la choisis ?
L’utilité doit être avérée et claire pour soi même, si elle ne l'est pas forcément pour notre entourage. L'utilité sociale de notre choix devient un rempart quand les choses se compliquent pendant la trajectoire. On trouve toujours les ressources pour s’en sortir.

Quelle est votre actualité ? Et quels sont vos projets ?

La drépanocytose n’a pas besoin de 1000 plaidoiries. Il y a 280 000 nouveaux cas chaque année en Afrique. C’est un drame. Il faut mettre en place une stratégie de prévention adaptée pour désamorcer la spirale mortifère de cette maladie.
Jusqu’alors il n’y avait pas de travaux. Ma thèse est en lien direct avec les répercussions de cette maladie et la dépression chez les victimes, pour les familles, les mamans, etc.
Mon projet prioritaire est d'aider à mettre en œuvre un système de prévention de la transmission du gène ; il est nécessaire. Ensuite, nous devons trouver les moyens d’offrir un soin qui donnerait la capacité aux malades et à leur famille d’être eux-mêmes responsables de leur santé, de leur mieux être, et de contribuer au développement.
J'aimerais oeuvrer aux côtés de l'Association Nationale des Drépanocytaires que j'ai le privilège d'accompagner à l'Hôpital Laquintinie de Douala, pour la mise en place d'un centre intégré de la prise en charge pour une approche compréhensive de la drépanocytose au Cameroun.
Mais des projets, j’en ai  beaucoup ! Il faudrait que je sois modeste et réaliste…
Actuellement les facs de médecine dans mon pays ne prennent pas en compte la dimension « santé mentale » dans les contenus des programmes ; à tel point que, sur une population camerounaise de près de 20 millions d’habitants, il n’y a pas plus de 5 psychiatres ! Il devient urgent que la psychopathologie occupe sa place dans la formation de tous les professionnels de santé. Il faut des diplômes professionnalisants pour qu’il y ait, sur le terrain, des psychologues, des médecins et autres paramédicaux imprégnés des ressources résolutives et curatives des sciences du mental et du comportement.
A ce titre, j’aimerais voir naitre une coopération entre l’université du Mirail et l'université de Douala. J'aime bien rêver. Nous verrons bien ! A suivre…


Propos recueillis par Marie-Claude Farcy, service communication, Université de Toulouse II-Le Mirail