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Réchauffement climatique, un géographe de l'UT2J sonne l'hallali
Le géographe Frédéric Durand travaille depuis 20 ans sur le réchauffement climatique. Son dernier livre reprend les grands travaux menés depuis la « découverte » de l’effet de serre anthropique (1). Une mise en perspective qui alerte à nouveau sur l’urgence climatique. Entretien.
« Je préfère vous prévenir, je vais vous casser le moral ! » C’est généralement par cet avertissement que Frédéric Durand débute son premier cours avec les étudiant·e·s… Professeur de géographie à l’Université Toulouse - Jean Jaurès et chercheur au LISST (Laboratoire interdisciplinaire, sociétés, solidarités, territoires), spécialiste du changement climatique, Frédéric Durand publie Le réchauffement climatique, enjeu crucial pour le 21ème siècle aux éditions Ellipses. Une mise en perspective du réchauffement climatique contemporain par rapport aux différentes périodes géologiques qu’a connu notre planète. Et le constat est accablant. « Le rythme actuel du réchauffement est 100 à 1000 fois plus rapide que tout ce que l’on a connu au cours des centaines, voire des millions d’années antérieures ».
De l’effet de serre à l’inertie climatique
Les modélisations de la communauté scientifique font froid dans le dos. Le seuil critique d’émissions de CO2 dans l’atmosphère pourrait être atteint dans une dizaine d’années. Cela signifie une augmentation irréversible des températures. Ce scénario, le prix Nobel de chimie suédois Svante Arrhenius, fut le premier à l’avoir envisagé en 1895. « Son calcul montrait que si on continuait à émettre du CO2 (nous étions alors juste après la révolution industrielle) on arriverait à un réchauffement de 4 à 6 °C aux alentours de 2050… Mais Svante Arrhenius n’en avait pas perçu la gravité. Au contraire, il se disait que la hausse des températures libèrerait des terres agricoles en Sibérie ou dans le grand nord canadien » précise Frédéric Durand. Il faudra attendre les travaux des climatologues et des glaciologues au début du 20ème siècle, puis la première conférence mondiale sur le climat en 1979 pour déclarer la dangerosité de l’effet de serre. Et comprendre aussi le phénomène d’inertie climatique : « Les rejets de ce que nous brûlons aujourd’hui ont une durée de vie d’un siècle dans l’atmosphère » explique Frédéric Durand. « Cela veut dire que même si on arrive à zéro carbone au-delà de 2050 (qui est l’objectif de l’Accord de Paris sur le climat pour limiter la hausse des températures à +2°C), il faudra continuer à absorber le CO2 que nous sommes en train d’émettre aujourd’hui ». Selon lui, face aux calamités météorologiques, les modèles les plus pessimistes estiment qu'à terme, la planète pourrait ne plus être viable que pour 1 milliard de personnes (aujourd’hui la population mondiale est de près de 8 milliards).
Entre l’utopie et le chaos
Frédéric Durand confie qu’il fut le premier à souffrir d’éco-anxiété lorsqu’il a compris cela : « c’est un peu comme si on se rend compte qu’une météorite va nous tomber dessus. J’ai même traversé une période d’anorexie mentale face à la gravité de la situation et l’ampleur de la tâche ». La tâche ? Revoir complètement notre consommation de masse, changer les paradigmes en allant vers plus de sobriété, assure Frédéric Durand. Notamment en mettant un terme à l’obsolescence programmée. Nos gestes quotidiens ont bien sûr leur importance, comme par exemple d’éteindre tous nos appareils en veille : « Cela représente 10% de la consommation d’électricité en France. En les éteignant on pourrait fermer cinq réacteurs nucléaires ». Mais il faut aussi une métamorphose à l’échelle globale. « Il y a les nouvelles énergies, l’éolien, le solaire… Elles sont compétitives, elles auraient pu le devenir depuis 50 ans si on n’avait pas massivement investi dans la recherche sur le nucléaire » peste le géographe. Très remonté contre le lobbies du nucléaire, Frédéric Durand l’est tout autant contre le « développement durable », inventé selon lui, pour faire croire que l’on peut continuer la consommation de masse tout en préservant l’environnement. Un non-sens. Planter des arbres en compensation écologique de la destruction d’un écosystème en est un exemple. « C’est souvent instrumentalisé par ceux qui ne veulent pas réduire leurs gaz anthropiques. Il faut veiller aux espèces que l’on plante, à leur entretien, et leur survie. En Turquie, une étude a ainsi montré que la majorité des arbres plantés étaient morts ». Compenser pour continuer à détruire, voilà donc un des nombreux paradigmes à changer. Ce changement est désormais réclamé par une partie de la jeunesse mondiale, qui depuis quelques mois manifeste tous les vendredis. Frédéric Durand, lui, a décidé de porter un bandeau vert ce jour-là de la semaine en signe de solidarité.
La crise du Covid-19
L’enjeu pour le climat est planétaire, et non moins important que le drame sanitaire engendré par le Covid-19, estime Frédéric Durand. Car la mortalité liée au dérèglement climatique sera d’une toute autre ampleur et pourrait même aller dans les scénarios les plus pessimistes jusqu'à 7 milliards d’individus ! Or « la décision actuelle de confiner des milliards d’êtres humains et de stopper une grande partie des activités humaines montre que des mesures exceptionnelles sont possibles quand il y a un péril grave », constate le géographe. Si la crise liée au Covid-19 interroge à de nombreux niveaux, elle ne pourra pas, selon Frédéric Durand, se conclure par une pirouette de certains estimant qu’il faut repartir « comme avant ». Le géographe en est convaincu, la course à la croissance et la consommation de masse sont les deux piliers du système actuel à remettre totalement à plat pour que notre planète reste viable. « Il faudra que les peuples descendent dans la rue pour dire qu’ils veulent autre chose et avant tout un monde humain et soutenable. Cela laisse présager d’autres combats, et il faudra être nombreux à les mener ».
DURAND, Frédéric. Le réchauffement climatique, enjeu crucial pour le 21ème siècle. Editions Ellipses, 2020.