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#21. Anne Isla, chercheure humaniste
Anne Isla enseigne l’économie. Elle est spécialiste de l’économie institutionnelle, des systèmes d’organisation et des aides publiques. La plupart des travaux de la chercheure ont pour cadre théorique l’économie des conventions, née dans les années 80, à contre-courant de l’économie orthodoxe.
Petite fille d’immigrés espagnols, Anne Isla a sans doute puisé son intérêt pour l’économie dans l’histoire familiale. Deux de ses grands-parents sont des enfants de la diaspora espagnole, qui fuit le pays au début du XXème siècle pour des raisons économiques. La famille d’Anne Isla s’établit dans les Hautes-Pyrénées. Elle grandit dans un environnement très éloigné de la recherche et du monde universitaire. Enfant, elle peint et dessine. Elle rêve de devenir restauratrice de tableaux. Lycéenne, elle est aussi douée en mathématiques et décroche un bac scientifique. Elle envisage alors d’entrer dans une école de graphisme à Paris, la seule qui ne soit pas payante. Mais l’admission ne se fait qu’à bac +2. Au grand soulagement de ses parents, elle s’inscrit donc à l’université et choisit l’économie, car dit-elle, il y avait beaucoup de mathématiques.
Lorsqu’elle arrive à Toulouse 1 Capitole, Anne Isla découvre un nouveau monde, qui va la captiver. Un monde des savoirs, un monde de culture, et surtout un univers étudiant très politisé, à l’activisme bouillonnant. Dès le départ elle s’investit au sein du syndicat AGET-UNEF (l’Union nationale des étudiants de France), très orienté à gauche. A cette époque se souvient-elle, les clivages entre syndicats étudiants étaient très forts, notamment entre l’UNEF et le GUD (le Groupe d’union et défense, un syndicat d’extrême droite violent et armé qui fut finalement dissout par François Mitterrand en 1982). Anne Isla est de toutes les assemblées générales et se passionne pour le débat d’idées, le militantisme de groupe. Cette énergie va la porter tout au long de ses études. C’est aussi en partie grâce cela qu’elle renonce à son projet des Beaux-Arts pour rester à l’université et se lancera quelques années plus tard dans la recherche.
Côté études justement, les quatre premières années sont consacrées presque exclusivement à l’économie mathématique, se souvient-elle. Une rigueur à laquelle la jeune étudiante s’astreint avec facilité. Puis arrive l’année du DEA. Anne Isla fait la rencontre d’un professeur d’économie politique qui deviendra son directeur de thèse et bien au-delà, son père intellectuel. François Morin, spécialiste de l’économie financiarisée et des relations entre le politique et l’économique, co-fondateur du laboratoire Lereps, est un héritier de la pensée théorique de Karl Marx et John Maynard Keynes. Avec lui, Anne Isla découvre une économie décloisonnée des lois mathématiques, capable de mobiliser l’histoire, la géographie, le juridique, la sociologie, ou encore l’anthropologie. Une économie qui ne fait pas abstraction d’une vision théorique de la société, du compromis social. Une économie dont la finalité n’est pas de dicter, mais de participer aux évolutions de la société. Durant sa thèse, qu’elle consacre aux aides publiques de l’État dans la politique européenne, Anne Isla confie être entrée dans une famille de pensée, dans sa famille de chercheurs. La vie de laboratoire l’enthousiasme. Elle développe le cadre théorique qui accompagnera toute sa recherche, fondé sur la théorie des conventions. Cette dernière est, avec la théorie de la régulation, l'une des deux principales approches dites hétérodoxes de l'économie en France.
Si les travaux d’Anne Isla interrogent des concepts et des notions (marché, concurrence, économie publique, intérêt général, bien, propriété…), ils ont pour finalité de servir le terrain. En atteste par exemple son étude sur les problèmes de l’accessibilité à l’eau potable en Afrique. Ou encore son travail actuel au sein d’un groupe de recherche pluridisciplinaire sur le risque de perte de gouvernance démocratique d’une entreprise des Hautes-Pyrénées face à l’expansion rapide de son activité. A l’instar de François Morin, Anne Isla a tout autant à cœur de diffuser un autre regard sur l’économie. Elle participe à des tables-rondes sur l’organisation des entreprises, intervient lors de rencontres sur l’Économie Sociale et Solidaire, travaille avec une troupe de théâtre sur les paradis fiscaux et les inégalités, et anime l’émission mensuelle « Economica » sur une radio en ligne. Elle est également l’auteur d’un ouvrage à destination des étudiants sur les courants de pensées en économie*.
Sa prochaine parution** est consacrée à la pensée théorique de son collègue et ami, l’économiste Bernard Maris, assassiné en 2015 dans les locaux du journal Charlie Hebdo à Paris. Une chaire Unesco d’économistes citoyens porte désormais son nom. Bernard Maris qui avait un rêve : « lorsque l'économie et les économistes auront disparu » écrit-il, « ou du moins auront rejoint l'"arrière-plan", auront aussi disparu le travail sans fin, la servitude volontaire et l'exploitation des humains. Régneront alors l'art, le temps choisi, la liberté. Qui rêvait ainsi ? Keynes, le plus grand des économistes. »
Un autre idéaliste…
Anne Isla : Maîtresse de Conférences en Sciences Economiques, HDR. Chercheure au LEREPS (Laboratoire d’Etude et de Recherche sur l’Économie, les Politiques et les Systèmes Sociaux). Depuis 1995 : co-responsable des échanges Erasmus et Erasmus Mundus pour la filière développement économique à l’international au département LEA, UT2J
*Anne Isla ; Histoire des faits et des idées économiques. Le pluralisme des idées ; Editions Ellipses (2021)
**Economic heterodoxy of Bernard Maris, Routledge Advances in Heterodox Economics, University of Missouri-Kansas City (titre provisoire).