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#22. Jean-Marc Pétillon, chercheur au lointain
Publié le 20 octobre 2022 – Mis à jour le 24 octobre 2022
Jean-Marc Pétillon est archéologue. Il explore le lointain passé de l’humanité. Spécialiste de la technologie osseuse préhistorique de la fin du paléolithique récent, le chercheur a fait des Pyrénées et du Bassin Aquitain son terrain de fouilles.
« Si le passé n’est pas un objet d’étude scientifique, il n’est qu’un écran de projection pour tous les fantasmes » : voilà comment Jean-Marc Pétillon inscrit sa recherche dans le vaste champ des connaissances. Il se définit d’ailleurs davantage comme préhistorien qu’archéologue, reconstituant un fragment de ce que furent les sociétés humaines à partir des infimes traces qu’elles ont laissées. Par définition, l’étude préhistorique ne peut s’appuyer sur aucune source écrite. L’archéologue gratte la terre à la recherche de matériaux. Et lorsqu’il trouve une pointe de sagaie cassée, probablement jetée là lors d’un retour de chasse, il se dit qu’il est le premier à la voir depuis des millénaires. Le morceau brisé témoigne d’un geste figé dans le temps. La découverte est forcément émouvante. C’est précisément cette matérialité, sa fugacité et ce qu’elle raconte, qui créa l’étincelle chez Jean-Marc Pétillon.
Cette envie naît à la fin du lycée. Bien que l’archéologie ne fût jamais un rêve d’enfant, Jean-Marc Pétillon se passionne pour les Sciences Humaines, celles qui ne sont pas enseignées en cours. Il commence à lire les manuels de sociologie, d’ethnologie, d’archéologie. Il décroche un bac littéraire, malgré une très mauvaise note en philosophie, précise-t-il, et entre en « prépa » au lycée Henri IV à Paris. Le temps de savoir ce qu’il veut faire. Et il poursuit ses lectures. L’archéologie lui plaît, mais pour en avoir le cœur net, il part rejoindre des chantiers de fouilles bénévoles durant l’été. Un chantier médiéval en Bulgarie, un gallo-romain en région parisienne, et enfin un paléolithique dans l’Yonne, suivi d’un autre dans les Landes. L’expérience fait mouche et le terrain le guide vers la préhistoire.
Il s’inscrit en Histoire de l’art et archéologie à l’Université Paris IV (aujourd’hui Université Paris-Sorbonne). Mais le cursus, orienté sur l’Histoire de l’art et l’Archéologie historique, contient un peu trop d’églises romanes et de temples grecs à son goût. Alors qu’à l’étage en-dessous, les étudiants de Paris I apprennent les outils et les équipements préhistoriques, leur fabrication, leur usage… Il bifurque l’année suivante. C’est là qu’il découvre le matériau qui le mènera au métier de chercheur : l’os. A l’inverse du silex, cette matière d’origine vivante, n’est, à cette époque, que très peu étudiée par l’approche technologique. Celle qui réinscrit les objets dans leur vie technique, à travers l’étude des matériaux, les techniques de transformation, d’utilisation, de réparation etc… Cette voie de recherche, ouverte par André Leroi-Gourhan, s’appelle la paléoethnologie.
Une voie que suivra Jean-Marc Pétillon durant sa thèse. Elle l’amène au Musée d’archéologie nationale, à Saint-Germain-en-Laye, où sont conservées quelques 700 pointes de projectiles en bois de renne découvertes au début du 20e siècle sur le site d’Isturitz dans les Pyrénées-Atlantiques. Datation : entre 15 et 20 000 ans avant le présent. Comprenez : avant 1950, l’unité de temps des archéologues. Leur an zéro à eux est celui de l’année de l’invention de la datation au carbone 14. Le futur chercheur ne se contente pas d’étudier les techniques de fabrication de ces objets, il va, avec la complicité du Musée du Malgré-Tout en Belgique, reproduire les pointes de projectile ainsi que leurs emmanchements afin de les utiliser et d’en déterminer le mode de propulsion. Et reproduire, près de 20 000 ans après, le geste de nos lointains ancêtres.
C’est dans ces mêmes tiroirs de Saint-Germain en Laye qu’il fera une découverte majeure. Dans la collection du site d’Isturitz, il avait aperçu des objets différents des matières osseuses. En petit nombre. Un matériau inconnu. Quatre ans après sa thèse, il retourne voir ces mystérieux objets et décide d’enquêter. Il compare, cherche, soupçonne que cela vient de la mer. Il prend des photos qu’il envoie à des spécialistes de cétacés en Patagonie et en Arctique. La confirmation arrive : il s’agit bien d’os de baleines. Alors que les archéologues pensaient que les chasseurs-cueilleurs exploitaient essentiellement les ressources terrestres, cette découverte laisse aussi imaginer un rapport au littoral bien plus vaste que supposé. Et elle est le précieux témoin d’un milieu aujourd’hui englouti : il y a 18 000 ans, le niveau de la mer était plus bas de 120 mètres. Jean-Marc Pétillon consacre les années qui suivent à chercher ces objets en os de baleine un peu partout dans les Pyrénées, établissant une cartographie du versant nord de la chaîne montagneuse. Actuellement, il termine un projet de recherche sur l’analyse de ces os de baleine issus d’anciennes fouilles : datation, identification des espèces utilisées et de leur régime alimentaire… Une mine d’information, se réjouit le chercheur.
À dépoussiérer le temps, Jean-Marc Pétillon révèle l’histoire des lieux. Ainsi dans la Vallée d’Ossau, il codirige un projet collectif de recherche sur la préhistoire et les environnements anciens. Jean-Marc Pétillon y mène depuis dix ans des fouilles dans la petite grotte Tastet, l’une des huit cavités du bassin d’Arudy. Il tente de restituer le comportement des chasseurs paléolithiques face aux bouleversements environnementaux, après le recul des glaciers et le retour de la végétation. Des fouilles qui sont aussi un morceau de leur histoire pour les habitants du village. A quelques 400 kilomètres plus au Nord, le chercheur travaille également sur le site emblématique du Magdalénien, Lascaux, dont l’attribution chronologique précise fait toujours l’objet d’études. Dans la lignée de ces travaux, Jean-Marc Pétillon apporte son expertise pour remettre le site dans son contexte, son inscription dans le territoire. Explorer le lointain passé de l’humanité, c’est, dit-il, donner de la profondeur chronologique à notre histoire. Notre histoire commune, finalement.
Cette envie naît à la fin du lycée. Bien que l’archéologie ne fût jamais un rêve d’enfant, Jean-Marc Pétillon se passionne pour les Sciences Humaines, celles qui ne sont pas enseignées en cours. Il commence à lire les manuels de sociologie, d’ethnologie, d’archéologie. Il décroche un bac littéraire, malgré une très mauvaise note en philosophie, précise-t-il, et entre en « prépa » au lycée Henri IV à Paris. Le temps de savoir ce qu’il veut faire. Et il poursuit ses lectures. L’archéologie lui plaît, mais pour en avoir le cœur net, il part rejoindre des chantiers de fouilles bénévoles durant l’été. Un chantier médiéval en Bulgarie, un gallo-romain en région parisienne, et enfin un paléolithique dans l’Yonne, suivi d’un autre dans les Landes. L’expérience fait mouche et le terrain le guide vers la préhistoire.
Il s’inscrit en Histoire de l’art et archéologie à l’Université Paris IV (aujourd’hui Université Paris-Sorbonne). Mais le cursus, orienté sur l’Histoire de l’art et l’Archéologie historique, contient un peu trop d’églises romanes et de temples grecs à son goût. Alors qu’à l’étage en-dessous, les étudiants de Paris I apprennent les outils et les équipements préhistoriques, leur fabrication, leur usage… Il bifurque l’année suivante. C’est là qu’il découvre le matériau qui le mènera au métier de chercheur : l’os. A l’inverse du silex, cette matière d’origine vivante, n’est, à cette époque, que très peu étudiée par l’approche technologique. Celle qui réinscrit les objets dans leur vie technique, à travers l’étude des matériaux, les techniques de transformation, d’utilisation, de réparation etc… Cette voie de recherche, ouverte par André Leroi-Gourhan, s’appelle la paléoethnologie.
Une voie que suivra Jean-Marc Pétillon durant sa thèse. Elle l’amène au Musée d’archéologie nationale, à Saint-Germain-en-Laye, où sont conservées quelques 700 pointes de projectiles en bois de renne découvertes au début du 20e siècle sur le site d’Isturitz dans les Pyrénées-Atlantiques. Datation : entre 15 et 20 000 ans avant le présent. Comprenez : avant 1950, l’unité de temps des archéologues. Leur an zéro à eux est celui de l’année de l’invention de la datation au carbone 14. Le futur chercheur ne se contente pas d’étudier les techniques de fabrication de ces objets, il va, avec la complicité du Musée du Malgré-Tout en Belgique, reproduire les pointes de projectile ainsi que leurs emmanchements afin de les utiliser et d’en déterminer le mode de propulsion. Et reproduire, près de 20 000 ans après, le geste de nos lointains ancêtres.
C’est dans ces mêmes tiroirs de Saint-Germain en Laye qu’il fera une découverte majeure. Dans la collection du site d’Isturitz, il avait aperçu des objets différents des matières osseuses. En petit nombre. Un matériau inconnu. Quatre ans après sa thèse, il retourne voir ces mystérieux objets et décide d’enquêter. Il compare, cherche, soupçonne que cela vient de la mer. Il prend des photos qu’il envoie à des spécialistes de cétacés en Patagonie et en Arctique. La confirmation arrive : il s’agit bien d’os de baleines. Alors que les archéologues pensaient que les chasseurs-cueilleurs exploitaient essentiellement les ressources terrestres, cette découverte laisse aussi imaginer un rapport au littoral bien plus vaste que supposé. Et elle est le précieux témoin d’un milieu aujourd’hui englouti : il y a 18 000 ans, le niveau de la mer était plus bas de 120 mètres. Jean-Marc Pétillon consacre les années qui suivent à chercher ces objets en os de baleine un peu partout dans les Pyrénées, établissant une cartographie du versant nord de la chaîne montagneuse. Actuellement, il termine un projet de recherche sur l’analyse de ces os de baleine issus d’anciennes fouilles : datation, identification des espèces utilisées et de leur régime alimentaire… Une mine d’information, se réjouit le chercheur.
À dépoussiérer le temps, Jean-Marc Pétillon révèle l’histoire des lieux. Ainsi dans la Vallée d’Ossau, il codirige un projet collectif de recherche sur la préhistoire et les environnements anciens. Jean-Marc Pétillon y mène depuis dix ans des fouilles dans la petite grotte Tastet, l’une des huit cavités du bassin d’Arudy. Il tente de restituer le comportement des chasseurs paléolithiques face aux bouleversements environnementaux, après le recul des glaciers et le retour de la végétation. Des fouilles qui sont aussi un morceau de leur histoire pour les habitants du village. A quelques 400 kilomètres plus au Nord, le chercheur travaille également sur le site emblématique du Magdalénien, Lascaux, dont l’attribution chronologique précise fait toujours l’objet d’études. Dans la lignée de ces travaux, Jean-Marc Pétillon apporte son expertise pour remettre le site dans son contexte, son inscription dans le territoire. Explorer le lointain passé de l’humanité, c’est, dit-il, donner de la profondeur chronologique à notre histoire. Notre histoire commune, finalement.
Jean-Marc Pétillon : Chargé de recherche au CNRS, docteur de l'université Paris I. Coresponsable de l'équipe SMP3C (Sociétés et milieux des populations de chasseurs-cueilleurs-collecteurs) du laboratoire TRACES