#23. Béatrice Milard, chercheuse en réseaux

Publié le 23 novembre 2022 Mis à jour le 23 novembre 2022

Béatrice Milard enseigne la sociologie. La chercheuse, spécialiste de la sociologie des sciences et de l’analyse de réseaux, observe comment agissent les relations sociales au sein de toute société et ce que cela révèle de cette société.

Comme tous les sociologues, Béatrice Milard cherche à comprendre le monde et la façon dont les individus fonctionnent à l’intérieur de celui-ci. Sa spécialité, c’est de lire entre les lignes. Ou plutôt entre les fils. Elle détricote les entrelacs des sociabilités qui façonnent et régissent les sociétés, pour comprendre ce qui opère en toile de fond. Saisir les choses, elle le faisait déjà enfant, à travers les livres. Elle était, dit-elle, « celle qui lit », la seule de la fratrie. Et qui lisait beaucoup. C’est là, dans un petit village de Dordogne, au cœur d’une famille néorurale, convertie à la terre dans les années 70, que la graine des savoirs a sans doute germé. Elle passe son bac dans le plus petit lycée de France, à Excideuil, aux côtés de huit autres élèves de terminale A2. Elle n’a qu’un objectif : aller à l’université. Cette institution du savoir l’a toujours fait rêver. Elle débarque à l’université du Mirail en pleine période de massification de l’enseignement supérieur. Nous sommes à la fin des années 80, les amphis sont bondés, les étudiants suivent les cours assis sur les marches d’escalier, leurs cahiers de notes sur les genoux. On écrit encore au stylo et les couloirs sentent la cigarette. Bien que très éloigné du calme de sa campagne périgourdine, cet univers convient immédiatement à Béatrice Milard. Elle s’inscrit en sociologie sur les conseils de son professeur de philosophie, avec lequel au lycée elle avait abordé des auteurs fondamentaux (Max Weber, Émile Durkheim…). Et cela lui avait plu.

Au Mirail, plusieurs enseignants vont marquer l’étudiante. Parmi eux, celui qui deviendra son directeur de thèse, Jean-Michel Berthelot (professeur de sociologie et directeur du CERS, décédé en 2006). En écoutant ses cours, se souvient Béatrice Milard, elle avait l’impression de tout comprendre. Elle découvre surtout ce qui deviendra sa spécialité : la sociologie des sciences. Étudier ce qu’il y a derrière l’émergence des savoirs. Car celle-ci, elle en est convaincue, n’est jamais neutre. C’est un domaine de recherche que vient d’ouvrir Jean-Michel Berthelot. Après avoir travaillé sur les associations scientifiques en DEA, premier fil tiré du vaste maillage des sociablités, Béatrice Milard décide de consacrer sa thèse aux citations dans les publications des sciences humaines et sociales. Ces références que font les chercheurs les uns aux autres est en lui-même une sociabilité, autant qu’une manière de faire de la science interdisciplinaire. Mais que révèle ce système, en quoi influe-t-il sur la publication des textes et la légitimation des savoirs ? C’est ce que cherche à comprendre Béatrice Milard. Une recherche qu’elle poursuit quelques années plus tard en allant cette fois-ci interroger les chercheurs sur leur bibliographie et les relations avec leurs pairs. Plus tard encore, en étudiant le genre dans la citation, puis les différences de pratique de citation par disciplines et enfin selon les lieux géographiques de la recherche scientifique. Un ouvrage sur tout cela est actuellement en préparation.

Comprendre les sociabilités c’est aussi étudier le rôle de la sphère sociale d’un individu et des interactions à l’intérieur de celle-ci. Ce que Béatrice Milard appelle l’analyse des réseaux sociaux, et qui constitue aujourd’hui l’ADN de sa recherche. Au sein d’un collectif de chercheuses et chercheurs de plusieurs universités, elle travaille sur une vaste enquête lancée pendant le confinement (Vico). Elle s’intéresse plus particulièrement au degré de soumission aux règles des individus selon la nature de leur entourage personnel (plutôt amical ou familial). En déployant l’enquête sur plusieurs mois (durant la vaccination, puis lorsque le passe vaccinal était en vigueur) la chercheuse analyse également l’évolution de ces réseaux sociaux, leurs ruptures ou à l’inverse leurs ouvertures à de nouvelles connaissances. Béatrice Milard pose aussi son regard sur les sociabilités par le biais d’Internet. Des sociabilités augmentées qui sont devenues essentielles dans certains milieux professionnels. Comme c’est le cas, dit-elle, dans la recherche. Ce projet en cours observe, là encore, le rôle de ces sociabilités dans les sociétés contemporaines.

L’analyse de réseau est pour la chercheuse une formidable entrée pour comprendre le social. Chaque environnement, qu’il soit familial, professionnel, ou encore institutionnel, porte en lui ses propres contraintes. Mais en agissant dans la structure qui les contraint, les individus contribuent aussi à modifier cette même structure. Par leur mouvement, les sociabilités sont à l’œuvre dans les transformations du monde social actuel. Et Béatrice Milard n’a pas fini d’en tirer les fils…

 

Béatrice Milard : Professeure au département de sociologie. Chercheuse au sein du laboratoire LISST- Cers. Directrice du Labex SMS – Structuration des Mondes Sociaux (depuis 2021).